La jeunesse libanaise, entre cultures de la guerre et de la paix

Alain Moussallem, Graffiti en direct, USEK – Liban, 12-09-2013 (‘Anti-mentalité de guerre’)

Y aurait-il UNE jeunesse libanaise? UNE culture que celle-ci véhiculerait?

Les recherches quantitatives et qualitatives que j’entreprends auprès de jeunes universitaires et d’activistes en ligne et-ou dans des ONGs, notamment depuis 2004, révèlent une diversité d’identités, de conceptions et de pratiques.

Parmi les innombrables questions posées à plus de 3000 étudiants-es dans trois universités libanaises, une en particulier reflète cette diversité: Seriez-vous pour la guerre ou la paix?

En effet, 70% ont répondu: POUR LA GUERRE! Un pourcentage alarmant dans un pays qui se meurt jour après jour, accumulant conflits, souffrances et mémoires meurtries. Bien que le concept de guerre pour ces jeunes soit commun – focus sur l’aspect physique (combats, violence physique, massacres, explosions, invasions …) -, 30% optent pour une guerre offensive ou défensive (dont 20% optent pour un visa comme premier choix), 15% sont partisans de ce que j’ai nommé le ‘mafichisme’ (il n’y a rien! ou l’autruche) ou la mentalité/attitude de déni, et celle du ‘badde 3ich’ (je veux vivre) doublée du ‘je-m’en-foutisme’. Enfin 10% veulent absolument quitter le pays et ne plus y retourner. Il est évident que j’insère les ‘passifs’ parmi ceux qui contribuent à ‘la culture de la guerre’.

Voici quelques témoignages de jeunes en ce sens:

•“Notre condition – la condition libanaise – est celle de la guerre. Notre histoire et notre destin”
•“Nous ne pouvons vivre ensemble. Nous n’avons rien en commun à partager. Il s’agit d’une lutte pour la survie. Que le meilleur gagne”
•“La stabilité du pays passe par la guerre”
•“Je n’ai pas d’espérance. Mon pays n’a rien à m’offrir. Je ne peux rien y changer. Je me casse”
•“Ma définition du bonheur? Un visa”
•“La guerre au Liban? Non… Nous vivons en paix”
•“Si on m’attaque, je brandirai mes armes. Et même si l’on ne m’attaque pas, je ferai une guerre préventive”
•“Je fais ce que me demande mon leader ou mon parti politique, même si c’est de combattre”
•“Le seul moyen de me défendre et de défendre ma famille passe par les armes, ou l’émigration”

Un autre point commun entre tous ces jeunes est leur ignorance de l’aspect psychique/psychologique de la guerre: traumatismes, souffrances, haines, tensions, propagande médiatique négative, absence d’une éducation à la citoyenneté et au dialogue, etc. La guerre n’est pas que physique, et la plus grande victime de toute guerre est la population civile. Le physique et le psychique s’alimentent, et ce cercle vicieux ne peut être brisé si l’on s’attarde uniquement à faire taire les canons sans guérir les blessures.

Il est vrai que des 30% de jeunes pour la paix, une majorité s’est contentée d’évoquer l’arrêt de la violence physique (Peacemaking) et le maintien de la sécurité (Peacekeeping). Une minorité (moins de 5%) souligna l’importance de tisser des liens au sein de la population et de revisiter le passé afin d’en tirer des leçons. Ceux-ci rejoignent en quelque sorte la définition d’activistes interviewés-ées dans le cadre de mes recherches, âgés-ées de 25 à 40 ans+, ayant connu et survécu aux combats physiques des années 70 et 80 du siècle dernier, et opéré une certaine catharsis individuelle qu’ils voudraient transférer au niveau national: la paix devrait être construite aussi par les divers acteurs de la société (Peacebuilding).

Les exemples de contributions individuelles et collectives à la construction de la paix sont nombreux. J’en présente quelques-un dans mon ouvrage ‘Voix-es de paix au Liban’ publié par Dar el-Machreq à Beyrouth en 2008. D’autres sont recensés tous les mois par l’Orient des Campus (voir les travaux de Roula Douglas notamment). Les informations abondent en ligne sur les associations et groupes de jeunes qui luttent pour la démocratie, les droits humains, la convivialité, etc. Les expressions culturelles sont prolifiques (musique, théatre, photographie, graffiti, design, cinéma, littérature…), ainsi que les blogs et autres plateformes virtuelles.
Zeid and the Wings, USEK, 12-09-2013

Néanmoins, comment expliquer l’existence d’un plus grand ‘espace’ de culture de la guerre ou la difficile croissance/prolifération d’espaces de culture de la paix au niveau national? La liste des obstacles ci-dessous est révélatrice:
•Crise politique locale et régionale
•Ingérences étrangères
•Crise économique
•Injustices sociales
•Inégalité des genres
•Limites du confessionnalisme (attitude/train de vie et système de gestion socio-politique des diversités)
•Déboires du mariage religion-politique et de l’instrumentalisation réciproque
•Corruption, système de za’ama, clientélisme…
•Crise environnementale et écologique
•Absence de mémoire nationale de la guerre, d’histoire commune et d’identité commune
•Prolifération des groupes/mouvements extrémistes
•Loi de la jungle, ‘oeil pour oeil, dent pour dent’, justice punitive individuelle/tribale
•Consumérisme et culture des apparences (parmi les effets de la globalisation)
•Propagande médiatique plus négative que positive (essentiellement médias traditionnels)
•HERITAGES FAMILIAL, + GENETIQUE ET EPIGENETIQUE + aires de la mémoire individuelle/collective
•Absence de débats publics et de participation effective des citoyens-es à la gouvernance
•Clash intergénérationnel (voix des jeunes rarement  appréciées)
•Individualisme à outrance

J’ajoute:
– Absence ou rareté de clubs culturels et de groupes lobbying pour les droits humains , la citoyenneté et la paix au sein des universités
– Absence ou rareté de cours obligatoires en milieu universitaire sur la Citoyenneté, les droits humains, l’histoire du Liban et du Moyen-Orient, le vivre ensemble et la paix
– Rares travaux de recherche et surtout en recherche appliquée
– Publications ‘élitistes’, non accessibles aux jeunes

– Phénomène du slacktivisme (ou l’activisme en ligne fainéant): “Ils protestent, s’indignent, font de bonnes œuvres, signent des pétitions, multiplient les clics ou donnent un tweet et tout ceci… du fond de leur canapé prostrés derrière leurs écrans”.  Certes,internet et les réseaux sociaux sont de bons moyens de mobilisation en masse et pour créer du bruit autour d’une cause, mais les clics (LIKE) ne sont souvent pas suffisants pour changer le cours des choses, même au niveau des mentalités.

– Phénomène de tours d’ivoire au sein de la société civile. La compétition est souvent malsaine et la coopération se fait rare.

Dr pamela chrabieh

Maya Khadra, Pamela Chrabieh, Roula Douglas et Wissam Maacaron – USEK, 12-09-2013

En conclusion, en dépit des obstacles tant internes qu’externes, on ne peut nier le fait que les luttes de jeunes pour la paix constituent le socle sur lequel peut être construit un meilleur avenir au Liban. Du moins, celles-ci démontrent que la société libanaise (dont sa jeunesse) n’est pas faite que d’affaissement socio-politique ou de suivisme à l’aveuglette, ni n’est à 100% léthargique et-ou violente. Elle est faite aussi de volontarisme et de capacité d’agir, d’espérance et de créativité.

Je cite ici Pierre Messmer et sa comparaison du Liban au Québec (ma deuxième patrie): “Les Libanais n’ont jamais cessé de résister pour conserver leur liberté et leur identité. Ils ont subi de nombreuses invasions, ils ont affronté les pires épreuves, ils ont maintes fois été menacés de disparaître mais ils n’ont jamais désespéré de leur pays (…). A l’instar des Québécois par exemple, les Libanais démontrent qu’un peuple qui ne se résigne pas ne peut pas mourir”.

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Cet article est un résumé de mon intervention lors de la table-ronde ‘Cultures méditerranéennes au prisme de la jeunesse libanaise’ à l’USEK le 12 septembre 2012, organisée par l’Orient des Campus, et en collaboration avec l’Agence Universitaire de la Francophonie, et le Centre Phoenix des Etudes Libanaises.

 

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