Les femmes marocaines ont toujours participé aux luttes politiques de leur peuple. Elles ont activement contribué à l’émancipation du pays et se sont engagées depuis dans le combat de liberté et de démocratie. Un combat encore à gagner. C’est dans ce cadre que s’inscrit leur longue marche vers l’égalité juridique et politique avec leurs compatriotes masculins.
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L’enclenchement de la marche des femmes marocaines
Les origines du mouvement féministe marocain remontent au milieu des années 1940, lorsque la première association féminine, l’Union des femmes du Maroc, est née en 1944 pour œuvrer dans le domaine social et participer à la lutte pour l’indépendance du pays. Pour renforcer son assise sociale et améliorer sa capacité de mobilisation, le Parti d’Indépendance s’est doté en 1946 de la Commission des femmes istiqlaliennes. La même année, le Parti démocratique et de l’indépendance, a créé les «Sœurs de la pureté» qui va revendiquer pour la femme «le droit à la scolarisation», «le droit au soutien légal au sein de la famille» et «le droit à la visibilité politique». Le mouvement des femmes a donc été depuis ses premiers pas associé aux luttes politiques. De son côté, l’État s’est doté en 1971 de l’Association marocaine de planification familiale.
En dehors des sections féminines des partis d’opposition, le syndicat étudiant l’UNEM a servi de laboratoire d’idées permettant la maturation de l’idée de création de mouvements féministes autonomes. Ce processus social complexe est arrivé à son terme pendant les années 1980, période de création de la première association féministe, l’Union de l’action féminine. Pour le Parti du progrès et du socialisme, la création en juin 1985 de l’Association démocratique des femmes du Maroc servait à renforcer son assise sociale. La décennie 1990 voit ce mouvement féministe mûrir et se diversifier. Il s’enrichit en 1991 de l’arrivée de l’Association marocaine pour les droits des femmes et l’Association marocaine des femmes progressistes. Malgré ses avancées, ce mouvement social est demeuré un mouvement urbain, universitaires et de classe moyenne laïque.
Ayant pris confiance dans leurs moyens, les féministes vont s’attaquer aux tabous religieux de la société, dont celui de la Moudawana. Pour elles, la participation féminine au processus politique de décision est tributaire de la modernisation de son statut juridique. D’où le mouvement du million de signatures en faveur de la réforme de la Moudawana en 1992 initié par l’UAF. Cette pétition revendiquait l’interdiction de la polygamie, la suppression du tutorat, l’égalité des droits et des obligations pour les deux époux, l’instauration du divorce judiciaire et la tutelle de la femme sur les enfants au même titre que l’époux.
Cette mobilisation de masse en faveur de l’égalité juridique avec les hommes était en soi une double victoire politique pour les féministes marocaines. D’abord, elle a réussi à remettre en question un texte jugé jusque-là «intouchable» par les conservateurs et à lever ainsi le tabou du statut de la femme dans la société. Ensuite, elle a montré la soif de changement social de plusieurs secteurs sociaux. Ce faisant, elle a soulevé la colère des milieux conservateurs, islamistes en tête.
Pour éviter à la fois la polarisation de la société et la politisation du débat, prétexte d’une mobilisation islamiste, Hassan II s’est emparé de la question de la réforme de la Moudawana. Au bout du compte, la «réforme» de 1993 n’a rien changé à l’essentiel («Maroc: Des droits civils des femmes»). Comme prévu, les féministes ont jugé ces mesures insuffisantes.
C’est dans ce contexte que deux femmes ont pour la première fois accédé au Parlement (1993). Deux ans plus tard, quatre femmes ont rejoint le gouvernement. Au grand bonheur des féministes.
Pour renforcer la présence des femmes dans les assemblées élues, un comité national de coordination féminine, Jossour («pont»), a vu le jour. Ce lobby comprenait: l’UAF, l’ADFM, l’AMDF, la Ligue nationale des femmes fonctionnaires du secteur public et semi-public et le Forum des femmes marocaines. Jossour a proposé les mesures suivantes : l’adoption d’un mode de scrutin par liste censé plus ouvert à la participation des femmes et l’adoption par les différents partis de quotas féminins d’un minimum de 20%.
Les femmes et Mohamed VI
Avec l’accession de Mohammed VI au pouvoir (1999-), la gauche espérait notamment voir aboutir la modernisation du statut des femmes. C’est pourquoi le gouvernement a chargé Saïd Saâdi d’élaborer le projet d’intégration de la femme au développement économique et social. Son «Plan» visait l’amélioration des conditions de vie de la femme dans les domaines de la santé, de l’éducation et de l’emploi. En vue de réformer la Moudawana, son volet juridique insistait sur:
*le relèvement de 15 à 18 ans de l’âge minimal du mariage pour les jeunes filles;
*l’instauration d’une tutelle paternelle facultative pour le mariage des jeunes femmes majeures;
*l’interdiction de la polygamie;
*la systématisation du divorce judiciaire (et l’interdiction de la répudiation unilatérale pour l’homme);
*le partage équitable des biens du couple, en cas de divorce.
Ayant perdu la bataille de l’opinion face aux conservateurs, le gouvernement a «refilé la patate chaude» à Mohammed VI en sa qualité de commandeur des croyants.
Un an plus tard, le roi a annoncé, le 27 avril 2001, la formation de la Commission royale consultative chargée de la révision de la Moudawana. Mohammed VI n’a cessé d’envoyer des signes en faveur de l’association de la femme au développement du pays et à l’exercice de tous ses droits. Une telle intégration ne pouvait se faire tout en gardant le même code du statut personnel. Cette commission a fini par élaborer un code de la famille assez progressiste en matière des droits de la femme.
L’adoption à l’unanimité de cette loi par le Parlement est intervenue dans un contexte politique marqué par le traumatisme des attentats terroristes de mai 2003, perpétrés à Casablanca par des jihadistes marocains. Le ralliement à cette loi des 42 députés islamistes s’explique par cette nouvelle conjoncture.
Avec la nouvelle loi de la famille, le Maroc a rattrapé son retard sur la Tunisie et devancé les autres pays arabes.
Pour continuer sur la même lancée «féministe», en vue des élections législatives de 2002, le gouvernement a adopté cette même année le principe de quotas de 10% de sièges féminins, et ce à l’aide d’une liste nationale réservée aux femmes. À l’occasion de ces élections, la représentation des femmes au sein de la Chambre basse du Parlement a fait un bond spectaculaire (10,8%, contre 0,61% précédemment).
Lors du remaniement ministériel de 2002, parmi 39 membres, les femmes ont obtenu près de 10% des postes, soit un pourcentage similaire à la représentation féminine à la Chambre des représentants. Leur présence a renforcé le poids de la représentation féminine dans l’exécutif. Toujours dans le cadre de sa politique de «féminisme d’État», la monarchie a désigné en 2003 des femmes au Conseil consultatif des droits de l’Homme, aux conseils de l’audiovisuel et de la magistrature, et à la Commission justice et vérité, sans oublier la nomination en 2004 d’une femme pour siéger au sein du Conseil supérieur des oulémas et 36 autres dans les 36 conseils régionaux. Cette présence pourrait contribuer à la prise en compte des doléances féminines par une institution religieuse conservatrice.
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Grâce à la marche entamée des années avant l’indépendance du pays, les femmes marocaines ont enregistré plusieurs avancées en termes de droits. Mais la route est encore longue avant d’accéder à un réel régime d’égalité avec leurs compatriotes masculins.