En deuxième année d’université, dans le cadre de mon cours d’anglais, je devais faire une présentation orale. Sujet au choix. Après m’être trituré la tête pendant plusieurs jours, une amie m’a indirectement donné l’idée de parler du féminisme. Le thème m’avait semblé approprié pour prouver que je savais m’exprimer clairement en anglais… Malheureusement, c’était bien là la seule chose que j’avais « réussi » avec ce devoir oral.
Je ne me souviens plus des détails de ma présentation ni de la manière dont j’avais abordé le sujet (j’ai malheureusement perdu ce fameux devoir depuis), mais je me rappelle très clairement avoir débattu en long et en large et en travers que je n’étais pas une féministe puisque l’être impliquait être « masculine ». Or comme je me sentais très féminine, je ne pouvais pas être féministe… ô syllogisme quand tu nous tiens!
Aujourd’hui, 14 ans plus tard, j’avoue avoir honte de ce moment…
Honte non pas parce que je l’ai pensé – après tout, je ne peux qu’être le produit de ma société, au moins pour un temps et dans une certaine mesure – mais honte de ne pas avoir eu assez d’intelligence pour remettre en question cette « réalité » que l’on nous rabâche sans cesse : Être féministe veut dire ne pas être féminine et ne pas être féminine, ce n’est pas bien. J’ai honte parce qu’à 20 ans, je n’avais pas une seconde pensé qu’être féministe c’est avant tout se battre pour avoir les même droits que les hommes. Honte parce que je ne m’étais pas un instant demandé s’il était normal que ces femmes soient considérées comme étant masculines, ergo comme n’étant pas dignes d’être femmes.
Apparemment, se battre pour quelque chose serait exclusivement masculin.
Dans bien des sociétés, dont notre société orientale, en tant que femmes, nous devons nous plier aux dictats des hommes : obligation sacrée du mariage, rester à la maison, porter leurs enfants (je ne parlerais pas ici de l’obligation des femmes d’avoir des enfants et de n’exister qu’au sein du foyer), etc… On peut tout de même travailler un peu. A temps partiel, ou une petite carrière juste pour dire que bon, nous ne sommes plus au moyen-âge ! Mais pas trop quand même. Rentrer à temps pour le repas des enfants, assurer le ménage, la cuisine, l’éducation, ne pas faire plus que son mari, etc…
Évidemment… ça nous occupe tellement d’assurer tous ces rôles, que nous n’avons même plus le temps de penser à nos droits!
Mais je m’égare…
14 ans, un tout petit peu d’expérience, quelques lectures et quelques moments de réflexion plus tard, je me rends compte à quel point le concept de féminisme est important et fragile.
Important parce qu’il implique se battre pour des droits égaux. Droit à l’éducation, au travail, à l’équité salariale, droit de faire les mêmes métiers, mêmes ceux « non traditionnels » ou « réservés aux hommes », droit d’être ce que l’on veut être, loin des dictats des hommes : se raser les cheveux, porter des pantalons sans se faire dire que ce n’est pas « sexy » ou « féminin », droit d’avoir le poids dans lequel nous sommes à l’aise, et non celui qui va plaire aux hommes, droit de ne pas être tout le temps parfaitement épilée « parce que ce n’est pas joli », droit de se couvrir ou découvrir à notre gré et non celui des autres, droit de décider de notre corps, de notre vie… Non pas par caprice, non pas parce que « nous n’avons rien d’autre à faire » ou parce que nous ne sommes pas mariées, mais parce le concept d’égalité implique justement que si une moitié de la population humaine peut aller où elle veut, alors l’autre moitié doit aussi pouvoir le faire ; parce qu’il ne faut plus que nos garçons subissent une énorme pression (être forts à tout prix, avoir honte de leurs émotions, assurer un revenu stable quels que soient leurs inclinaisons et leur goût, etc…); parce que nos filles doivent réaliser leur plein potentiel. Le féminisme est important pour une société saine et équilibrée.
Le féminisme est un concept fragile aussi parce qu’il tient à si peu. Dans quelques pays, il n’existe pas, dans d’autres, il tient du miracle, dans certains il lutte pour se faire entendre et même dans les pays où il existe « officiellement », il est continuellement rabaissé au statut de « lutte secondaire »…
Tant de femmes ont sacrifié leur vie (et continuent de le faire) pour qu’aujourd’hui, nous puissions simplement aller à l’école, travailler, voter, etc…
Une photo que j’ai beaucoup aimé et qui a fait écho à mes réflexions a circulé sur facebook dernièrement. Un homme tenant une affiche sur laquelle il est écrit : I need feminism because I am sick of seeing broken men breaking women!”
Il est fragile parce qu’il devient si vite péjoratif et parce qu’on nous le brandit dès que l’on « sort du rang ». Attention, ne lutte pas trop, tu vas devenir « camionneuse » (je n’ai absolument rien contre les camionneuses et j’adore les femmes qui assument leur coté masculin et vice versa); attention, pas trop haut, plus aucun homme ne voudra de toi; attention, ne gagne pas trop; attention, ne réussit pas trop…
Comme si être une femme accomplie sans passer par la case « homme/mariage » (et encore!) était « contre nature » (reste à définir le « nature »).
Le féminisme est fragile aussi parce qu’il est remis en question par des femmes… « Il n’y a pire oppresseur des femmes que la femme ». Celles qui obéissent à cette « évidence » sans se poser de questions. Celles qui disent qu’elles ne sont pas féministes parce que justement féminines, celles pour qui une femme à la forte personnalité « écrase » son mari (si son mari se laisse faire c’est la faute de la femme ?), celles pour qui il est de leur devoir de faire des enfants et de s’occuper de leur maris, celle pour qui les féministes sont toutes des suprématistes « qui veulent la fin des hommes » (je l’ai entendu de mes propres oreilles)…
En soi, je n’ai rien contre faire des enfants, s’occuper de son mari et être féminine (reste encore et aussi à définir ce terme…) tant que c’est une préférence personnelle. Mais du moment que ces « devoirs » sont « des obligations » dictées par une tierce partie, là, le bat me blesse.
J’adore l’idée de ce blog, ce mur.
Je pourrais écrire encore des pages et des pages.
Mais je finirais par me perdre dans le dédale des choses à dire, des choses qui me révoltent, des choses qui me mettent hors de moi, des choses qui me font pleurer…
Je m’arrêterais là… pour le moment…