Je publie à nouveau ce matin un de mes articles parus dans l’Orient-le-Jour et dans la revue du Collège Notre-Dame de Jamhour (2006). A l’époque, nous avions, mon mari et moi, pris la décision de retourner au Liban, pour des raisons tant familiales que ‘nationalistes’. Il faut dire que notre visite lors de l’été 2006 laquelle tourna au vinaigre, raviva les souvenirs traumatisants des années 80 du siècle dernier, et m’encouragea, encore plus qu’auparavant, à poursuivre ma lutte dans la construction de la paix au Liban… En relisant mon texte, quelle ne fut ma surprise de le trouver encore d’actualité!
“Mon périple au carrefour du Canada et du Liban a débuté il y a sept ans. A l’époque, j’étais convaincue que ‘l’Occident’ constituait un havre de liberté, de paix et de convivialité, martelée par les dérivés du « rêve américain », de la « mission civilisatrice française », et du fameux « multiculturalisme canadien ». Comme beaucoup d’autres de mes amis-es et collègues de la même génération dont l’enfance et l’adolescence furent marquées par la guerre physique en sa période la plus sanglante, l’entreprise de la ‘reconstruction nationale’ au courant des années 90 générait la frustration et perpétuait la souffrance : on s’attelait à faire table rase du passé et à escamoter les mémoires meurtries de l’histoire nationale en les remplaçant par des immeubles flambants neufs et un système socio-politique et économique qui minait les bases d’un véritable vivre ensemble. La quête de survie et d’un sens au tumulte de notre existence n’était pas achevée. Les tensions, la discorde, l’exclusion de tout ce qui est ‘autre’, l’angoisse de la prochaine explosion… : l’étau ne s’était pas desserré.Pour pouvoir y échapper, j’avais opté pour l’émigration, les longues files d’attente pour obtenir un visa, l’humiliant passage aux douanes, la méfiance, les réticences et le rejet de bien d’individus sur la terre « d’accueil » face à « l’immigrante » que je constituais, « membre d’une minorité visible », « l’étrangère », « l’autre ». Dès le début de mon cheminement académique à Montréal, j’étais tantôt qualifiée ironiquement de « terroriste » – qualificatif qui fut encore plus utilisé à l’encontre de mes collègues musulmans-es suite au 11 septembre 2001 -, d’autres fois « de sous-développée », d’ « éponge » qui s’imbibait de « la connaissance occidentale » sans y contribuer en retour, etc.
Hormis ces qualificatifs et quelques malencontreuses expériences, j’eus la chance de rencontrer des personnes de diverses cultures et spiritualités, d’avoir des professeurs-es et des collègues dont l’enseignement et l’amitié ont contribué à enrichir la construction de mon identité, et surtout, à retisser des liens avec mon pays d’origine, à relire son histoire, à redécouvrir son patrimoine, ses traditions, et à tenir compte tant de ses avantages que de ses limites. Ces diverses rencontres qui ont pavé mon chemin, avec leurs larmes et leurs sourires, leurs joies et leurs peines, m’ont aidée à ne pas oublier et à m’engager. Je ne pouvais et ne voulais plus différer les questions tournant autour de la guerre et de la paix, de la mémoire et de l’identité; questions qui résument la souffrance et le drame de bien de personnes ballottées entre l’amnésie et l’hypermnésie, et qui constituent la base de mes travaux académiques, socio-communautaires, littéraires et artistiques.
Sept années ont passé… Je suis de retour au Liban. En fait, je me suis rendue compte que je ne l’avais jamais quitté, ni d’ailleurs le Canada. Je vivais et je vis encore constamment entre deux rives une aventure à la recherche de l’ouverture à l’altérité et de la convivialité. Plus qu’une aventure, c’est un pèlerinage empreint de richesses exaltantes et d’embûches, d’une succession de morts-résurrections, d’imprévus, de remises en question, de réconciliation et de communion. J’ai laissé des parties de moi-même sur la route; j’en laisse encore… Toutefois, j’en ai forgé d’autres et j’ai même retrouvé des coins perdus dans ma mémoire, longtemps ignorés, mais désormais interpellés, se dressant comme remparts contre l’oubli.
Vivre entre deux rives m’encourage à briser le mur du silence entretenu par les acteurs de la tragédie libanaise, bourreaux et victimes. Vivre entre deux rives m’apprend chaque jour à contribuer au dialogue des différences en moi-même et dans mon entourage; différences qui ne sont pas résorbées, et qui ne sont pas des systèmes clos séparant les individus et les collectivités au point d’en faire des ennemis potentiels, mais qui constituent des richesses au service de l’humanité. Ce dialogue est d’autant plus crucial dans le contexte actuel du Liban qui fait craindre l’exacerbation d’une politique d’exclusion, et qui appelle de ce fait à une sérieuse révision des distorsions d’une histoire incarnée par un passé épuré transmis aux jeunes générations”.
Hormis ces qualificatifs et quelques malencontreuses expériences, j’eus la chance de rencontrer des personnes de diverses cultures et spiritualités, d’avoir des professeurs-es et des collègues dont l’enseignement et l’amitié ont contribué à enrichir la construction de mon identité, et surtout, à retisser des liens avec mon pays d’origine, à relire son histoire, à redécouvrir son patrimoine, ses traditions, et à tenir compte tant de ses avantages que de ses limites. Ces diverses rencontres qui ont pavé mon chemin, avec leurs larmes et leurs sourires, leurs joies et leurs peines, m’ont aidée à ne pas oublier et à m’engager. Je ne pouvais et ne voulais plus différer les questions tournant autour de la guerre et de la paix, de la mémoire et de l’identité; questions qui résument la souffrance et le drame de bien de personnes ballottées entre l’amnésie et l’hypermnésie, et qui constituent la base de mes travaux académiques, socio-communautaires, littéraires et artistiques.
Sept années ont passé… Je suis de retour au Liban. En fait, je me suis rendue compte que je ne l’avais jamais quitté, ni d’ailleurs le Canada. Je vivais et je vis encore constamment entre deux rives une aventure à la recherche de l’ouverture à l’altérité et de la convivialité. Plus qu’une aventure, c’est un pèlerinage empreint de richesses exaltantes et d’embûches, d’une succession de morts-résurrections, d’imprévus, de remises en question, de réconciliation et de communion. J’ai laissé des parties de moi-même sur la route; j’en laisse encore… Toutefois, j’en ai forgé d’autres et j’ai même retrouvé des coins perdus dans ma mémoire, longtemps ignorés, mais désormais interpellés, se dressant comme remparts contre l’oubli.
Vivre entre deux rives m’encourage à briser le mur du silence entretenu par les acteurs de la tragédie libanaise, bourreaux et victimes. Vivre entre deux rives m’apprend chaque jour à contribuer au dialogue des différences en moi-même et dans mon entourage; différences qui ne sont pas résorbées, et qui ne sont pas des systèmes clos séparant les individus et les collectivités au point d’en faire des ennemis potentiels, mais qui constituent des richesses au service de l’humanité. Ce dialogue est d’autant plus crucial dans le contexte actuel du Liban qui fait craindre l’exacerbation d’une politique d’exclusion, et qui appelle de ce fait à une sérieuse révision des distorsions d’une histoire incarnée par un passé épuré transmis aux jeunes générations”.