« Jamais nous n’avons été aussi libres que sous l’occupation allemande », dixit Jean-Paul Sartre, parangon de l’Existentialisme assaisonné aux slogans du mai 68 en France. La liberté serait alors la fille légitime de l’oppression, de la résistance, de la mortification et de l’aspiration à l’émancipation. Dans ce Liban, au cèdre biscornu, au peuple blasé, démissionnaire, souffrant et collectivement névrotique, la liberté semble être un mirage aux contours onctueux, aguichants et inaccessibles… Bizarre et saugrenu dans un pays qui a vu s’unir, 62 ans après son indépendance, son peuple dans la place qui a vu périr les journalistes qui diffusaient des idées révolutionnaires sous l’occupation ottomane en mai 1906.
La Liberté… cette femme capricieuse qui naît, lumineuse et rutilante, des entrailles du despotisme.
La Liberté, ce ressort relâché après une longue compression.
La Liberté, ce mécanisme de défense qui nous rappelle à l’ordre au temps de l’obscurantisme.
La Liberté, ce paradoxe sans lequel on n’existerait plus…
Triste est ce jour de novembre 2014… Le 22 novembre. Jour de l’indépendance fêtée au temps où Beyrouth se targuait d’être la Suisse de l’Orient, au temps des occupations syrienne et israélienne, au temps de la guerre civile, au temps des attentats… Mais pas maintenant. Rien ne nous brime. Rien ne bride nos élans hystériques… On est lâché dans cette jungle où « tout est possible, tout est permis ». Certes, loin de ressembler au paysage que Moustaki peint dans sa chanson-phare « Le temps de vivre », ce qui est permis et légalisé dans la conjoncture actuelle est la fainéantise, la soumission à la réalité acerbe, à l’anormalité et à l’immoralité. On s’accommode bien, voire à merveille, d’un fait inéluctable tel que la vacance de la plus haute instance dans le pouvoir : la présidence de la République. Rien ne nous contraint à agir ou à résister. Personne ne nous encercle le cou avec une bride où de clous piquants sont épandus. La liberté, on s’en contente de la mièvre ombre. Les revendications ? On n’ira pas les chercher à perpète les oies… On n’en veut pas.
Du moment où l’on a notre voiture qu’on paie à crédits pour les prochaines années,
Du moment où l’on mange le soir le poulet aux hormones avant de roter indifféremment devant le poste de télé diffusant des photos d’enfants morts en Syrie,
Du moment où ma peau est saine et sauve, où les menaces restent loin de mon orbite relativement sécurisée,
Je fais du surplace, je tourne autour du même pot, éternellement, fatalement, inlassablement.
La Liberté n’est pas faite pour les crétins. Les Libanais sont indignes de leur indépendance…
Sans les couples paradoxaux et complémentaires : black-out/résistance, occupation/lutte, attentats/colère, le Libanais ne saurait exprimer sa soif de liberté. Au temps vermoulu de la décadence, de cette apocalypse relative, l’indépendance et la liberté ne sont pas, hélas !, des graals formant le pivot existentiel de nos vies…
Ressuscitons les paradoxes, créons-les pour que des ténèbres naissent la lumière et que de la léthargie naisse l’envie de s’affranchir et d’être indépendant au vrai sens du terme.