Cette constatation, cette question, passé la trentaine, devient un leitmotiv pesant qui dérange, blesse et déstabilise chaque jeune fille libanaise. N’étant pas la seule dans cette situation peu élogieuse, j’ai décidé de faire le tour de la question et de parler franchement de ce “problème” tabou de notre chère société.
La première chose qui vient à l’esprit des gens c’est que quelque chose cloche en moi. Par exemple, ne pas porter des talons hauts, ne pas opter pour des décolletés plongeants, ne pas avoir les cheveux “brushingués”, ne pas mettre de maquillage, ne pas avoir un corps aux mensurations parfaites ou ne pas avoir recours à la chirurgie esthétique pour corriger les défauts de mère nature, tout ceci forme des causes évidentes du célibat.
Au Liban, apparemment, pour qu’une femme soit aperçue par un mâle en mal d’amour, il lui faut aller avec l’artillerie forte car l’apparence extérieure est pratiquement la seule carte qui se joue. Attention, n’allez surtout pas croire que je suis une fervente féministe adepte de la beauté naturelle brute: forêt de poils sous les aisselles et sourcils à la Frida Khalo! Non, quand même! Mais le terme de beauté naturelle et simple est un concept encore mal connu au pays du Levant.
Etre simple mais très élégante et harmonieuse dans sa façon de s’habiller, porter des petits talons et des accessoires modernes sans être badigeonnée de crèmes, avoir une hygiène naturelle et un parfum léger, tout ceci passe (presque) inaperçu. Si je m’habille décemment mais élégamment, si mon sourire franc et simple est mon seul maquillage, si mes ongles sont courts mais propres et bien manucurés, si j’opte pour des cheveux courts plutôt que longs, ça n’a pas d’importance car je ne fais pas le poids face aux amazones et bombes sexuelles outrageuses autour de moi.
Passé le côté physique, parlons maintenant de culture, de façon de penser et de beauté intérieure. Je vous vois rigoler déjà. Quand je pense que les Phéniciens ont inventé l’alphabet et ont ainsi aidé à la propagation du savoir de par le monde, je me dis qu’aujourd’hui nos pauvres ancêtres doivent se retourner dans leurs tombes. Par rapport à la plupart de mes consœurs libanaises, être cultivé(e) signifie lire les ragots des magazines mondains locaux (et Dieu sait s’il y en a!), écouter de la musique orientale à deux sous (Tirachrach et compagnie), regarder des films américains bondés de clichés hollywoodiens ou pires, regarder les longs feuilletons turcs traduits en syrien.
Ça c’est sans compter le temps passé sur les réseaux sociaux et le WhatsApp à partager les commérages ou critiquer un tel ou une telle. Bref, tout ce qui sort de ce monde-là est superflu et trop difficile à digérer.
Essayez d’évoquer Molière, Lynda Lemay, Hayao Miyasaki, le Marquis de Sade, Hans Zimmer, Michael Haneke, Tom Tykwer, Les Invalides, Alessandro Barrico ou André Malraux et vous serez foudroyés du regard et montrés du doigt en vous traitant de martien. Non, décidément, ma modeste culture n’attire pas les hommes.
Dépassé le cap des 35 ans, une célibataire est considérée comme avoir raté sa vie et devient la honte de la famille et le boulet des parents. Même si sur d’autres plans on a fait nos preuves, ça n’a aucune importance. Ainsi, avoir fait des études supérieures, avoir une vie professionnelle active, se prendre en charge économiquement et personnellement, être capable de faire un travail sur soi et d’évoluer, tout ceci s’envole en poussière si on n’arrive pas à lancer ses filets sur un célibataire et lui mettre la corde au cou. Oui, on devient bon pour la casse.
Aujourd’hui, j’ai envie de crier ma rage et ma colère contre cette stupide société patriarcale et archaïque!
Apparemment, je n’ai pas le droit de rêver de l’homme qui me satisfera et me complètera.
Apparemment, je n’ai pas le droit de concevoir d’être une alter ego, un parallèle féminin pour mon autre moitié.
Apparemment, tous les bons partis sont pris et je dois me contenter de ceux qui restent, c’est-à-dire les vieux (à moins qu’ils ne soient comme Georges Clooney) et les bons à rien.
Je ne suis pas émotionnellement instable à tel point que je ne peux supporter de vivre seule et qu’en conséquent, j’ai un besoin vital d’être en relation, même si cela implique de piétiner mes rêves et mes croyances pour le plaisir du sexe fort.
Oser prétendre que je recherche un homme cultivé, honnête, franc, francophone, ouvert, qui a le sens de l’humour, un cœur en or, engagé dans sa Foi et respectant ma liberté et ma façon de penser, c’en est trop.
Si je suis capable d’offrir tout ceci et plus, pourquoi devrais-je me contenter de beaucoup moins? Pourquoi une jeunette a-t-elle le droit de rêver, d’être romantique, de vouloir un prince charmant? Qu’a-t-elle de plus que moi? Ou plutôt c’est parce qu’elle a des années en moins que ses rêves sont légitimes et que les miens ne le sont pas?
Pourquoi ne considère-t-on pas que la beauté d’une femme réside dans sa maturité, tel un bon vin?
Pourquoi la majorité des hommes libanais, surtout lorsqu’ils pensent au mariage, ne s’intéressent qu’à des femmes de 10 et même 15 ans plus jeunes? Est-ce pour pouvoir les exhiber au public et montrer son beau trophée? Est-ce pour assurer sa descendance et le nom de la famille?
Pourquoi la majorité des hommes libanais a peur ou réprouve une femme intelligente, cultivée, qui a sa façon de penser, qui sait exactement ce qu’elle veut et qui n’a pas peur de dire le fond de sa pensée?
Pourquoi la majorité des hommes libanais n’aime pas les femmes indépendantes et fortes qui recherchent dans la relation un amour réel, d’égal à égale, et non une situation de dominant/dominée?
Si je cherche une relation sérieuse et honnête, je n’attends pas un homme qui me prenne sous son aile et me donne un abri ou paie mes dépenses, mais je recherche un homme qui m’aime Corps Âme et Esprit, qui peut me compléter et que je pourrais compléter, un homme mûr, un homme vrai, un homme sincère qui n’est pas macho, qui n’a pas besoin de taper une femme pour prendre conscience de sa virilité. Un homme qui n’a pas peur de montrer ses sentiments, un homme qui est capable de sacrifices, un homme qui croit en Dieu, en l’Amour et à la famille, un homme qui est prêt à s’engager et à tenir parole.
D’ici à ce que cette rencontre ait lieu, je reste célibataire, car comme dit le proverbe:
“ Mieux vaut vivre seule que mal accompagnée.”