Je publie ci-dessous un résumé d’une partie de mon intervention à la Table-Ronde organisée par Women in Front le samedi 9 novembre 2013 au Salon Francophone du Livre de Beyrouth: “La cause des droits des femmes: avancées et obstacles – France, Maghreb, Liban”. La partie des acquis et non-acquis, ainsi que celle des obstacles, seront publiées ultérieurement. Pour ceux et celles intéressés-ées par plus de détails, je vous prie de me contacter.
Face aux nombreux obstacles à une avancée de qualité dans la cause des droits des femmes au Liban, il est évident qu’il va falloir entreprendre un examen et une révision systématiques de la législation afin d’atteindre une conformité totale aux dispositions des conventions internationales ratifiées par le Liban, et d’élargir les lieux de lutte déjà entamés au sein de la société civile tout en créant des partenariats constructifs. Toutefois, les lois ne suffisent pas… La simple volonté non plus… Ni d’ailleurs les initiatives ponctuelles et éclatées.
Il va falloir agir, encore et plus, lever les interdits, penser l’impensable, briser les tabous, déconstruire les stéréotypes. Etre acharnées, tenaces, prêtes à œuvrer chacune pour soi et les autres, être solidaires, devenir des entrepreneuses politiques, pour faire évoluer tant la condition des femmes au Liban que celle de l’être humain.
Une révolution des mentalités devrait advenir, même si celle-ci prendrait des décennies. Pour que, justement, les femmes cessent d’être spectatrices, figurantes, mineures qui ne peuvent décider, exclues de la vie publique, de la politique, de l’histoire, et cessent d’être réduites à leur seule nature et condition de mère/épouse soumise ou de bel objet à admirer et baiser.
Cette révolution, devrait à mon avis, inclure ce qui suit:
1) La liberté d’être soi, de s’aimer et de s’apprécier;
2) La liberté de posséder son corps – en ce sens, les femmes devraient faire partie des débats de société sur la procréation, la fécondité, la maternité, l’eugénisme, la contraception, la famille, etc. ou les mettre au-devant de la scène;
3) La liberté de vivre sa sexualité – que de tabous et d’interdits entravent une vie sexuelle libre et épanouie pour les femmes libanaises. Que de cas de femmes qui se font faire une hyménoplastie pour pouvoir se marier, ou pour échapper à l’exclusion et même la mort, que ce soit de leur famille ou de celle de leur époux. Que de cas d’incompatibilité sexuelle à la suite de mariages arrangés ou forcés. Que de cas de femmes traumatisées, violentées, par manque d’éducation sexuelle et de capacitation. Que de femmes tombent dans le piège de l’objectification sexuelle et du viol marital. Une citation de Madeleine Pelletier : « Tant que la femme est considérée comme un être inférieur, on peut dire que l’amour est réservé au sexe masculin. La femme n’est que l’instrument dont l’homme se sert pour jouir ; il la consomme comme un fruit ». Que de femmes ne voient dans le sexe qu’un moyen de procréer, alors qu’il est aussi une source désirée de plaisirs. Que de femmes ne jouissent pas ou ignorent qu’elles puissent jouir… Pourtant, elles ont le droit de jouir ! Elle devraient avoir le droit de réaliser leur potentiel érotique et charnel, sans être taxées de volages, de nymphomanes et de salopes, alors que les hommes sont admirés, des James Bond ; sans non plus transformer le sexe en une marchandise.
4) La liberté de savoir : recevoir une instruction suffisante et convenable… Non pour se trouver un meilleur parti et ranger son diplôme dans le tiroir par la suite, mais pour mieux se connaître, pour mieux évoluer, pour améliorer des situations, et pour contribuer à la production du savoir… C’est ce que je tente de faire (et en partenariat avec d’autres auteures-s) avec le mouvement Red Lips High Heels : promouvoir la production du savoir féminin et-ou féministe au Liban et dans la région… Les femmes ne doivent et ne peuvent être tenues à l’écart de l’étude et de la réflexion, ni de la dissémination du savoir (et en particulier sur le religieux, le politique, l’économie, etc. Santé, beauté, enfants et cancans c’est bon mais au-delà aussi c’est meilleur).
5) La liberté de travailler et de décider… au-delà des simples objectifs de gagner de l’argent pour se nourrir et subvenir aux besoins de la famille… au-delà des petits boulots mal payés, des tâches ingrates et subalternes ; au-delà de la différence des salaires… Oui, il y a des femmes académiciennes, médecins, ingénieures, avocates, directrices de branches de banques, etc… Mais on est bien loin d’occuper les postes de décision tant dans les secteurs privé que public… On est bien loin d’avoir les mêmes droits que les hommes, et pourtant, les femmes compétentes et qualifiées, elles sont pas mal nombreuses…
6) La liberté de dénoncer les injustices, de briser le silence, de ne pas accepter ce que l’on nous impose, ne pas se résigner, et n’avoir pas peur de se proclamer féministe – les hommes aussi !
7) La liberté de créer et d’imposer leur talent de créatrices : écrivaines, peintres, photographes, sculptrices, réalisatrices, musiciennes, etc. Oui le Liban en regorge, mais les femmes ont encore du chemin pour se forger une place dans le monde élitiste de l’art, pour ne pas se faire taxer d’anormales ou pour faire reconnaître leurs œuvres et leurs aptitudes exceptionnelles. Les anges n’ont pas de sexe ? Le génie non plus…
8) La liberté de se dépasser, d’être là où une femme n’est pas attendue (comme une femme dans le domaine de la production du savoir sur le religieux, ou une femme championne de course de moto, ou une femme jouant au football (je ne vous raconte pas la difficulté que j’ai à trouver un club de foot pour ma fille de 6 ans!).
La révolution des mentalités, c’est de créer de nouveaux choix, au-delà de ceux qu’ont produit la mentalité patriarcale et le système patriarcal ; c’est de mettre notre énergie à nous capaciter afin de survivre hors de ce système ou de pouvoir gérer notre vie d’une manière alternative en son sein et d’y opérer une sortie progressive. La révolution des mentalités, les femmes certes vont devoir la faire advenir, mais avec les hommes aussi, pour le bien de tout être humain, quelles que soient ses appartenances.