Au Maroc, plusieurs lois participent des dynamiques sociales de discrimination de la femme et de sa marginalisation, aussi bien au sein de la famille que dans la société. C’est pourquoi la réforme progressiste du code du statut personnel en 2004 et les avancées professionnelles féminines sont hautement positives.
Au niveau du droit de la famille, il y a indéniablement l’avant et l’après-2004. L’adoption de la Moudawana, code du statut personnel et successoral, remonte à 1957-1958, c’est-à-dire à peine deux ans après l’indépendance du pays (1956). C’est dire l’importance à l’époque de cet enjeu pour les milieux conservateurs du pays.
Selon cette législation, la moitié de la société devait demeurer à vie sous tutelle mâle. Les réformes timides des années 1981 et 1993 n’ont rien changé à cette situation. Si le législateur avait touché aux questions de tutelle matrimoniale (wilaya) et de garde des enfants mineurs, il avait de fait délaissé la répudiation, la polygamie, le statut du tuteur et de l’enfant né hors mariage. Sans oublier l’âge du mariage de la jeune fille demeurant fixé à 15 ans. Pire, certains changements étaient en fait des retours en arrière. À titre d’exemple, si une mère se remariait, la garde des enfants revenait à son ex-mari et non plus à sa propre mère. Au grand dam des milieux progressistes, féministes et de gauche.
Ces milieux devaient attendre l’année 2004 pour voir enfin l’adoption d’une réelle réforme du droit de la famille. Avant cette date historique, la femme, considérée comme éternelle mineure, était soumise au régime de tutelle du père puis du mari. Même si la polygamie était devenue un phénomène marginal, tout homme pouvait théoriquement se marier avec plus d’une femme. Seul l’homme pouvait répudier son épouse, après l’avoir avertie. À défaut de sa réaction à un deuxième avis, il pouvait la répudier sans qu’elle soit présente. Une fois remariée, la femme courrait le risque de perdre la garde de son enfant au profit de son ex-mari. En matière de succession et d’héritage, les femmes étaient également objet de discrimination. Pour se marier ou obtenir un passeport, elle avait besoin de l’autorisation d’un tuteur mâle. Si elle se mariait avec un étranger, elle ne pouvait transmettre sa nationalité ni à son mari ni aux enfants nés de cette union; et cela sans parler de l’ostracisme social auquel elle pouvait faire face en cas de mariage avec un non musulman.
Presque cinq ans après l’arrivée du roi Mohamed VI au pouvoir (1999-), le nouveau droit de la famille a instauré trois principes importants: l’égalité juridique entre les hommes et les femmes, la coresponsabilité au sein du couple et l’accès de la femme à la majorité sociale. C’est pourquoi cette loi a accordé à la femme les droits suivants:
*pouvoir attendre jusqu’à l’âge de 18 ans pour choisir de se marier et avec qui bon lui semble;
*l’institution du divorce par consentement mutuel;
*la possibilité de demander le divorce;
*dans le cas de divorce ou de répudiation, la possibilité de garder ses biens, son logement et ses enfants, si c’est l’homme qui demande le divorce. Dans ce cas, elle bénéficie d’un partage équitable des biens du couple;
*la polygamie est rendue quasi impossible;
*pour l’enfant naturel, son père peut le reconnaître.
Mais, le partage de l’héritage demeure inégalitaire.
Si la législation commerciale et contractuelle permet (depuis 1995) à la femme mariée d’exercer librement le commerce sans avoir besoin de l’accord préalable de son mari, en revanche le code du travail contient toujours plusieurs dispositions discriminatoires à son égard. D’où notamment cette distorsion salariale qui perdure et qui fait qu’à travail similaire et à compétences égales, elle touche 40% de moins que l’homme. Le code de la fonction publique, daté du 14 février 1958, l’exclut de certains secteurs publics, dont les postes de facteur, d’agent de ligne, de sapeurs-pompiers. Sans oublier la résistance à la féminisation de certains secteurs au sein de départements comme l’Intérieur et les Affaires étrangères.
Il fallait attendre l’année 1993 pour voir les premières femmes (deux) entrer au Parlement, et l’année 1995 pour voir des femmes entrer pour la première fois au gouvernement. Cinq ans après, on nommait les premières ambassadrices et consuls du pays. Avant 1995, hormis le cas du Haut commissariat aux handicapés, dirigé par une femme, aucune autre ne faisait partie du gouvernement ni n’occupait un poste dans les hautes instances politiques officielles ou administratives. La fonction de secrétaire général de ministère demeurait une fonction masculine. Il fallait chercher au niveau des directions pour trouver quelques nominations féminines.
Dans le domaine judiciaire, si les femmes avaient accédé progressivement à la fonction de juge et de magistrat au niveau des diverses juridictions (première instance, Cour d’appel, tribunaux administratifs), elles demeuraient quasi absentes de certaines instances, telles le Conseil suprême de la magistrature, la Cour suprême et le Conseil constitutionnel, où Saadia Belmir était le seul membre féminin, exerçant aussi la fonction de présidente de chambre à la Cour suprême. D’autres institutions, telles l’officiel Conseil consultatif des droits de l’Homme et le Conseil du suivi du dialogue social, étaient exclusivement masculines. Le même phénomène se produisait dans les syndicats, chambres et organisations professionnelles.
Cette situation de discrimination professionnelle de la femme représente une violation à la fois de la Constitution et du code des libertés publiques, dont l’article 3 qui stipule que, dans des conditions d’égalité, la femme a le même droit que l’homme d’occuper tous les postes publics et d’exercer toutes les fonctions publiques établies en vertu de la législation, sans aucune discrimination. C’est dire l’influence forte de la culture patriarcale au sein de la société («Maroc : Société politique et freins à l’ascension des femmes»).
Mais le caractère discriminatoire de ces lois n’a pas empêché la Marocaine de jouir de plusieurs droits civils, tels la liberté de circuler et de s’établir dans toutes les parties du royaume (Constitution, article 9, alinéa 1), le droit à la propriété (article 15), le droit à l’éducation et au travail (article 13), la protection de la vie privée (article 10, alinéa 2) et le droit d’accéder à tous les emplois de la fonction publique (article 12). Même si, comme nous venons de le voir, ce dernier droit est violé par certaines dispositions du code de la fonction publique.
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Si l’on prend en considération le fait que ces outils juridiques des droits civils participent aux dynamiques sociales de discrimination des femmes et de leur marginalisation dans la société, on ne peut qu’apprécier positivement dans une large mesure la «modernisation» du droit de la famille en 2004 et les avancées professionnelles féminines. Conjuguées à une éducation moderne généralisée à l’ensemble des enfants du pays, y compris donc aux petites filles, la modernisation des lois et l’adoption d’une discrimination positive à l’embauche en faveur des femmes pourraient contribuer à saper les fondements culturels de la discrimination des femmes. Élément incontournable pour toute modernisation réelle et durable de la société.