En lisant la presse ce matin, je tombe sur la photo d’une franc-tireuse syrienne, la ‘première’ femme guerrière de renom au sein du bataillon de l’opposition au régime en place (‘Armée Syrienne Libre’), nommée ‘Guevara’, opérant surtout à Alep, et voilée. Flash back à ‘la Violence et le Sacré’ par René Girard, et surtout, aux amazones, révolutionnaires françaises, miliciennes libanaises dans les années 1980, etc.
Dès le VIe siècle av. J.C., l’art et la littérature grecs développèrent le mythe des Amazones, cette tribu de guerrières qui habitaient des terres aux confins du monde civilisé. L’Ancien Testament chrétien retint, pour sa part, le livre de Judith qui raconte comment cette femme juive parvint, par la ruse, à approcher et à tuer Holopherne, le chef de l’armée assyrienne qui assiégeait Béthulie, la ville de son peuple. Dans The Encyclopedia of Amazons, différents cas de figure se présentent: quelques femmes, nobles, ont accompagné leur mari dans leurs guerres, ou ont parfois dirigé une armée. D’autres ont été femmes soldats. “De façon générale, les femmes furent les protagonistes de combats désespérés. La majorité ont lutté pour la défense de leur espace proche, ville, château ou domaine, souvent lorsqu’il y avait un déficit d’hommes pour défendre la place. L’état de siège constitue l’occasion la plus favorable pour que les femmes se transforment momentanément en guerrière. L’efficacité de leur action tient fréquemment au sursaut de vaillance qu’elles suscitent chez les défenseurs, plutôt qu’au nombre d’ennemis qu’elles abattent. Le temps de leur engagement dépasse rarement celui de la résistance. Leur prise d’armes reste temporaire et elle n’altère en rien leur féminité”.
En examinant le cas de Jeanne d’Arc, qui combattit les Anglais pour le compte de Charles VII, Jeanne Hachette, qui participa à la défense de Beauvais (France) lors du siège dirigé par le duc de Bourgogne en 1472, et Madeleine de Verchères, qui se battit pour défendre le fort de son père contre une attaque des Iroquois en 1692, on se rend compte qu’il était ‘acceptable’ dans ce contexte à titre d’exemple – et dans bien d’autres – que les femmes interviennent activement par les armes, lorsqu’une situation militaire devenait critique. “Le processus par lequel une femme se faisait soldat était très bien codé et peut être comparé aux rituels d’inversion des rôles décrits par les anthropologues: Premièrement, on distingue une courte période de rupture durant laquelle elle cesse de se comporter en femme et fait accepter sa nouvelle conduite comme soldat par le groupe social. Dans un deuxième temps, qui dure aussi longtemps que pèse la menace, elle participe activement au combat contre les ennemis. Une dernière étape du processus a pour fonction de la ramener à son état féminin antérieur”.
“L’analyse du cadre spatial a montré que le fait de combattre introduisait la femme dans le domaine public. Devenir guerrière relevait en quelque sorte d’une double transgression. La première tenait à cette intrusion dans une sphère réservée aux hommes, la seconde au geste même de prendre les armes. Cette double rupture d’interdit n’était tolérable qu’en vertu de son caractère exceptionnel et temporaire. Elle comportait toutefois ses risques de dérapage, comme le montre le dénouement de l’histoire de Jeanne d’Arc qui ne parvint pas à réintégrer son rôle féminin (…). Transgression permise momentanément, l’exercice de la fonction guerrière par une femme se termine normalement par la paix, qui rétablit l’ordre antérieur et qui exige une marque significative et publique du retour de l’héroïne à son état originel”.
Il fallut attendre le XXe siècle pour que les femmes obtiennent, entre autres, le droit de vote et la possibilité de porter l’uniforme militaire. Toutefois, dans la plupart des sociétés moyen-orientales, être femme guerrière est plutôt comparable à la situation des femmes européennes d’il y a trois à cinq siècles, où il est question de transgression temporaire ou d’exceptions à la rêgle!
Le cas de ‘Guevara’ la franc-tireuse syrienne n’est pas le premier cas au Moyen-Orient, ni n’est un cas isolé. Néanmoins, la ‘surprise’ qu’il suscite chez beaucoup – hommes et femmes -, imprégnée d’un sentiment d’indignation, d’approbation ou de réprobation, nous renvoie à des problématiques de fond: la violence est-elle le propre des hommes ou de l’être humain en général? Etre femme implique automatiquement être pacifiste? La violence, une fois mêlée au sacré, est-elle encore plus l’apanage des hommes versus les femmes? La violence est-elle innée ou culturellement acquise? Qu’en est-il des nouvelles recherches en neurosciences, notamment le concept de la plasticité du cerveau, lesquelles démontrent que le 90% des différences se trouvent entre individus et non entre sexes?
[hr]