Un titre pareil dans un autre pays que le Liban pourrait passer inaperçu, même dissonant. Mais dans le royaume de la chirurgie plastique et des diététiciennes, il faudrait avoir du courage et du culot pour affirmer ‘pleinement’ ses rondeurs. Entre succomber au poids du lourd regard de la société, regard vide de lourdeur en fait, et se faire plaisir avec du bon vin et de la fine cuisine libanaise, j’opte pour le second choix.
Je suis une femme ‘pleine’. Je ne suis pas ‘botoxée’, ni siliconée, ni ‘implantée’, ni ‘charcutée’, et je m’assume comme je suis. Je ne passe pas des heures au gym, d’ailleurs, je n’ai pas le luxe de le faire vu que je travaille – disons que je tente de bouger occasionnellement pour préserver la santé et le bon fonctionnement de mes muscles meurtris suite aux longues heures passées à écrire -, et je déteste le jus de laitue – paraît-il en vogue ces temps-ci !!
Qu’on ne me comprenne pas de travers… Je n’affirme pas que la femme – et l’homme de surcroît – doit délaisser son physique. Au contraire, j’opte pour l’approche holistique, et donc pour un ‘entretien’ de toutes les dimensions qui constituent l’être humain : physique, psychologique, spirituel, culturel, relationnel, etc.
Toutefois, ce que je trouve ‘anormal’, c’est ce qui fut décrété ‘normal’ par une grande partie de la société libanaise : la course effrénée en vue de la perfection physique !!!
Ce que je trouve ‘anormal’, c’est que le Liban soit identifié en tant que ‘Mecque de la chirurgie plastique’, alors que sa performance en matière d’éducation est minable.
Ce que je trouve ‘anormal’, c’est que la presque majorité des conversations entre femmes lors de brunchs, déjeuners et dîners, tourne autour de la perte/prise de poids, du meilleur régime à suivre, du plasticien de Mme X dont les doigts seraient ‘magiques’, et de recettes de jus de légumes. Je n’ai rien contre les légumes, au contraire, j’adore les salades, mais j’aimerai bien dépasser le stade léthargique de ‘légume’ au sein de ces rassemblements de dames ‘de société’ !
Ce que je trouve ‘anormal’, c’est que la revue la plus en vogue dans notre pays et la plus vendue ne traite pas de sujets culturels par exemple, mais de MONDANITES, avec plus de 100 pages d’images à la saveur d’acide hyaluronique et de fessiers artificiels.
Ce que je trouve ‘anormal’, c’est que le ‘naturel’ (bien que maquillé et coiffé) équivaut dans notre société à ‘simplicité vulgaire’, ‘folie bohémienne’, et j’en passe…
La recherche de la perfection physique est devenue chose courante et est tellement banalisée qu’oser critiquer les ‘normes établies’ et les ‘idéaux’ – canons de beauté spécifiques – impliquerait d’être taxé de paria, d’intouchable, de renégat, d’hérétique.
La société libanaise d’aujourd’hui – du moins une large part – tente de développer un désir de se conformer à un modèle, une référence qu’est celle, malheureusement, de l’idéal corporel, vu l’absence de modèles d’un autre ordre. De plus en plus d’individus s’efforcent d’y ressembler par de multiples moyens tous plus difficiles et coûteux les uns que les autres. Ainsi, un véritable marché s’est développé autour de ces idéaux, créant des complexes, des impressions de différences bien qu’en réalité les images que l’on nous montre sont tout sauf une norme.
Ceci est donc un phénomène de société, l’objectif visé étant d’avoir une apparence socialement approuvée. Il s’agit quelque part d’une généralisation des goûts en matière d’esthétique, une uniformisation universelle de l’être sous toutes ses formes pour finir par ressembler un jour à…un peuple cloné ?
Je suis une femme ‘pleine’, pulpeuse, et j’en suis fière. J’ai failli culpabiliser d’être une bonne vivante, d’aimer manger, profiter de la vie et surtout de ne pas aimer sentir mes os saillir de ma peau. J’ai failli succomber à la pression venant de partout de retour au Liban suite à une décennie passée à Montréal.
Mon propos n’est pas de promouvoir l’obésité et zéro épilation, mais seulement de dénoncer ce diktat de la perfection physique qui nous fait courir après une chimère. Assumons notre féminité, assumons notre humanité et refusons l’image-archétype que l’on souhaite nous imposer. On peut réussir sa vie (trouver l’amour, avoir un bon job, une vie sociale…) sans avoir à s’affamer, être « pro-ana » (anorexie vue comme style de vie et non comme maladie) ou se faire des injections de botox chaque mois et passer par le bistouri à tout bout de champ.
« Au-delà de nos rondeurs, de notre maigreur, de notre blondeur, de notre rousseur, de notre mocheté et de notre beauté, il y a des êtres qui ne demandent qu’à vivre pleinement leur vie comme ils l’entendent. J’en entends déjà crier haut et fort que mon discours ne sert à rien. Mais ce qu’ils ne savent pas, c’est qu’eux aussi doivent s’y reconnaître, et sentir qu’il y a dans notre société un réel problème d’image et de jugement ».