« Que faire face au chaos dans lequel nous vivons au Liban ? ». Telle est la question qui me fut posée par des étudiants-es universitaires il y a quelques jours, à la suite du visionnement du documentaire produit par Pierre Dawalibi « The Lebanon I dream of ». « Une révolution à l’égyptienne ? Une guerre à la syrienne ? Des manifestations continues à la turque ou à la brésilienne ? … Même si nous pensons à l’une ou l’autre de ces initiatives, comment faire de sorte que les jeunes soient impliqués ? La léthargie est de rigueur, sinon le suivisme à l’aveuglette ! ».
Ma réponse fut claire : nous pouvons nous inspirer des expériences d’ailleurs, mais nous avons, en tant que libanais-es, la tâche de penser/créer/produire notre propre révolution, relativement à notre contexte, nos capacités, en tenant compte de notre histoire, nos forces et nos faiblesses. Nous ne devons ni ne pouvons importer les soulèvements ou réformes. Le copier-coller, déjà en vigueur dans nos universités et dans divers secteurs de la société, n’est que néfaste.
A qui revient la tâche ? Certainement pas aux ‘leaders’ politiques lesquels ne sont pour la plupart que des faiseurs de guerre. Celui qui fait la guerre et contribue à détruire son pays et son peuple, tout en osant s’autoamnistier (voire la loi d’amnistie de 1991) et-ou auto-prolonger son mandat sans l’aval de ce dit-peuple, n’est pas habilité à faire la paix. Il s’agit d’un leader ‘illégitime’, un criminel de guerre, un serviteur public (public servant) corrompu, dont le sort est d’être licencié et jugé.
Aux syndicats et mouvements de jeunes universitaires ? Ceux-ci, notamment depuis les années 90 du siècle dernier, sont soit comateux, soit vendus à la solde des partis politiques traditionnels, tout comme d’ailleurs une grande majorité de journalistes, intellectuels etc. bref de l’élite ‘pensante’ !
Qu’en est-il des Organismes Non-Gouvernementaux ? Certains ont accompli du beau travail lequel mérite d’être souligné, ainsi que plusieurs libanais-es vivant dans le pays ou en diaspora, artistes, activistes en ligne, romanciers, cinéastes, etc. Toutefois, les tours d’ivoire sont nombreuses et empêchent la formation de mouvements sociaux à grande échelle. Car ce qu’il nous faut absolument au Liban, n’est nullement UN SAUVEUR, UN HEROS – ni même une héroïne -, mais l’élargissement des mouvements sociaux pacifistes, constitués d’acteurs/actrices de la société lesquels-lles, sans rejeter leurs différences, établiraient une liste d’objectifs communs et engageraient les actions adéquates en vue de les réaliser.
Quelles actions ? Sûrement pas par l’entremise des armes ! Pour que la paix advienne, le cercle vicieux de la violence doit être brisé. Des actions positives… Le passage d’une mentalité négative à une résolution positive, constructrice, est à mon avis, la seule issue, et en tous cas, la seule ‘cartouche pacifiste’ pour sauver le peu qui reste de notre pays. Certes, les manifestations populaires adoptées dans le passé ont leurs avantages, mais à ce jour, elles adviennent uniquement suivant un mode strictement défensif ou offensif d’expression, avec pour seul but de s’opposer à ce qu’on considère être des excès. Des mouvements populaires souvent confessionnalisés ou à coloration politique uniforme, et d’ailleurs non porteurs de projets collectifs-nationaux, se contentant de traduire des sentiments d’exaspération devant une situation jugée intenable.
‘Mouvements sociaux’ ne signifient pas des totalités. C’est bien à partir de préoccupations micro, c’est-à-dire de l’individu, que ceux-ci peuvent émerger ou être renforcés ; aussi faudrait-il avoir des circonstances favorables à un passage de la frustration/engagement individuels à l’action commune. Au Liban, certains individus font déjà cet exercice à titre personnel ou au sein de quelques groupes, mais ni la mentalité ni la pratique ne se retrouvent à grande échelle, et le passage à l’action commune au niveau national est inexistant. Parmi mes étudiants-es, rares sont ceux-celles prêts-es à s’engager actuellement pour une meilleure gestion socio-politique de la société. Je leur ai même avancé l’exemple du boycott des plages dites privées comme mesure de résistance civique pacifiste afin de récupérer peu à peu nos plages supposées être publiques… Ou le boycott de l’emploi de femmes de ménage à temps plein dans les maisons tant que le racisme sévit et qu’aucune loi ne préserve leurs droits fondamentaux (même si certaines familles traite leurs employées ‘humainement’, le fait de les employer en usant du système en vigueur est une participation au renforcement de ce système et non à sa réforme) – mon alternative est l’emploi à l’heure, et certainement des lois garantissant leurs droits fondamentaux… Or, la réponse de mes étudiants-es et je suppose bien d’autres à travers le pays : le rapport entre les bénéfices probables d’un tel engagement et les coûts prévisibles compte tenu des risques encourus (devenir paria, se faire tabasser, emprisonner, lyncher, etc.) n’est pas à leur avis positif à court terme. Car voyez-vous, le ‘court-terme’, le ‘maintenant’, ‘ici’, revêt une importance majeure aux yeux de ces jeunes. Ou alors pour certains-es, c’est le défaitisme : « quoique l’on fasse, on ne changera rien ! » ou encore « il n’y a aucun intérêt à s’engager pour le moment ; nous attendrons et nous verrons comment profiter de la situation, comme tant d’autres d’ailleurs » (les free riders ! Ou les voyageurs au ticket gratuit !)… Pourtant, les deux exemples ci-dessus ne sont que mineurs face aux innombrables problématiques que la plupart des étudiants-es ne voudraient même pas repenser !!
Que faire dans ce cas ? Faire intervenir une autorité pour rendre l’action obligatoire et rompre la logique du déni/refus/fuite… ?
Non !
Plutôt, continuer d’œuvrer, tant individuellement que collectivement, tel l’exemple de bien d’activistes que je connais (dont l’engagement relève de l’éthique, de l’altruisme, du nationalisme, de la loyauté, de l’amitié, de l’obligation morale), pour faire advenir les circonstances favorables à l’expression collective-nationale tant attendue ! La route est longue, pénible, et il est fort probable que les fruits ne seront récoltés que par les générations suivantes ! L’éducation, l’activisme en ligne, la prise de parole, etc. Nos seuls outils pour un changement progressif des mentalités et donc de notre système de gestion socio-politique!
A suivre !