Robert Fisk raconte: “The airline crew offered me a lift on their bus into Jalalabad, the same dusty frontier town I remembered from the previous July but this time with half its population missing. There were no women. Just occasionally I would catch site of them, cowled and burqa-ed in their shrouds, sometimes holding hands of tiny children.”1 (L’équipage de la compagnie aérienne m’a offert le transport, par son bus, pour Jalalabad, le même village poussiéreux et frontalier dont je me rappelle de Juillet passé, sauf que cette fois-ci, il y manque la moitie de sa population. Il n’y avait pas de femmes. Occasionnellement je les attrapais de vue, portant la burqa’, parfois tenant les mains de petits enfants.) Il continue en expliquant que les femmes ne pourront plus recevoir une éducation, suite à une décision prise par le Taliban. Ce mouvement intégriste, enraciné dans le courant wahhabite, a adopté la condamnation à la décapitation, amputation de la main ainsi qu’une perspective misogyne englobant la société dans sa totalité. Les mesures draconiennes rappellent celles envisagées par l’Eglise du Moyen Âge.
Sans avoir l’intention de renchérir sur le témoignage de Robert Fisk, il est à signaler que nous vivons dans un monde où des femmes meurent, têtes écrasées par lapidation, pour une raison ou une autre. Toutes formes de châtiments et de marginalisation sociopolitique et économique s’appliquent contre elles. L’absurdité de ce phénomène social mène à penser un peu à la question : Pourquoi l’homme a manifesté au cours de l’histoire le besoin de marginaliser la femme, et en quelque sorte « déféminiser » sa société?
Les phénomènes comme ceux déjà avancés, ne peuvent être déchiffrés qu’à la lumière d’une analyse psychologique, vu l’absurdité apparente de ces faits, espérant dévoiler un bout de vérité résidant dans tout ce qui nous semble « bizarre », en cette époque moderne. Pour entreprendre une telle analyse, il faut retourner aux sources, à la genèse des grandes pensées antiques exprimées dans les tragédies et les mythes – bien entendu, écrits par des hommes, et exprimant la pensée de l’homme. Une perpétuelle agression du masculin contre le féminin s’y manifeste ; le contraire est vrai, mais nous nous contentons de cibler notre intérêt sur le cas échéant. Ces mythes nous décrivent abstraitement la tragédie de l’âme humaine tout au long de son évolution à travers l’histoire. Bien entendu, on s’en est servie pour décoder le fonctionnement de notre âme autant individuelle que collective.
Tout d’abord, nous entendons dire par « masculin » les aspects de la personnalité qui montrent, en général, force physique, endurance, homme initiateur, homme romantique, brave héro ou guerrier, porte-parole ou orateur, leader, etc. Le « féminin » porte à l’esprit l’idée de beauté et de séduction, la femme rebelle, la mère naturelle, tout ce qui peut contenir, tout ce qui peut enfanter, et, chez les philosophes, tout ce qui est sagesse. Cela servira, à différencier entre l’aspect masculin et celui féminin dans la pensée classique.
Le cœur du problème de ce que nous allons appeler le Grand Rapt, se manifeste dans plusieurs mythes qui décrivent des événements racontant des enlèvements de déesses et de princesses par des dieux ; donc des rapts effectués par des figures masculines contre celles féminines. Notamment, l’enlèvement de Perséphone par Hadès, comme le narre Homère dans ses hymnes à Déméter :
« Et la Vierge, surprise, étendit les deux mains en même temps pour saisir ce beau jouet ; mais voici que la vaste terre s’ouvrit dans les plaines de Nysios, et le Roi insatiable, illustre fils de Cronos, s’en élança, porté par ses chevaux immortels. Et il l’enleva de force et la porta pleurante sur son char d’or. »
Hadès, le Fantôme de l’Opéra, le Comte Dracula, sont des figures qui symbolisent l’homme renfermé dans son propre océan complexuel (maternel) mais qui manifeste un grand « besoin » de se procurer l’amour et la beauté d’en dehors de ce monde, en vue de compenser son état misérable et sa solitude. Bien que ces personnages se manifestent dans leur force masculine, ils sont tout de même, dans leur for intérieur, semblables à Monostatos, personnalité Mozartienne de l’opéra initiatique « La Flûte Enchantée », où il personnifie en lui-même la frustration dans l’homme. Ceci découle du fait que la libido du personnage central, qui va de pair avec sa liberté, est soumise aux chaînes de la figure maternelle de la Reine de la Nuit, puisqu’il était son esclave.
De plus, le mythe de l’abduction d’Europe, la princesse Phénicienne, par Zeus transformé en taureau s’inscrit dans le sillon de notre analyse. L’analyse de cette histoire nous montre que l’homme, représenté par Zeus, régresse vers son état animal – de rage et de désir avide de possession – et capture par le moyen de la malice la femme, représentée par Europe. Benserade raconte dans son « Métamorphoses d’Ovide en rondeaux » l’enlèvement d’Egine par Jupiter transformé en flamme. Il est bien connu que les flammes et le feu personnifient la libido 2, ceci s’applique aux chevaux de Hadès mentionnés ci-haut. Par là, l’inconscient humain qui imagine Jupiter se transformer en feu, veut bien exprimer l’idée d’une libido qui se rebelle contre le commandement de la conscience de l’homme et qui s’avère auto-dévoratrice et aveuglante. En effet, Zeus tombe dans la tentation et subit une régression jusqu’à l’état élémentaire (feu), et Jupiter, son analogue Romain, se soumet au « feu de sa passion». Même les dieux se cèdent à ce qui est plus fort qu’eux, et où ils se trouvent bien à l’aise. Devenant feu, esclave du feu, ils formeront une équipe contre l’élément opposé qui est l’eau ; élément alchimique féminin qui, seul possède le pouvoir d’éteindre tout feu. Par là, le féminin devient le pire ennemi. Monostatos ci-haut mentionné, avait, avec les autres esclaves de la Reine de la Nuit un seul point faible. Ce n’est autre que la musique produite par le carillon magique de Papageno l’oiseleur, offert à lui par la reine-même. Cette musique prend une forme féminine qui adoucit la frustration et berce par sa mélodie les âmes rigides des hommes aveuglés par l’image intense de la séduction idéologique représentée par la figure de la Reine obscure. C’est une eau qui atténue l’incandescence de leur feu explosif.
La frustration est bien le fruit d’une idéologie dévoratrice , qui renferme l’homme dans sa pensée en lui procurant la forme du feu, apparemment d’allure masculine, mais illusoire en réalité. En effet, c’est un feu castrateur qui fait que l’homme régresse jusqu’à se blottir dans le giron d’une femme terrible non personnifiée, qu’est cette idéologie. Normalement, le débarras du complexe d’Œdipe se caractérise par la désexualisation des intentions de l’enfant envers sa mère.3 Par là, l’homme tend à désexualiser ses apports sociaux, voire sa société. Mais c’est la femme sociale qui s’en servira comme bouc-émissaire parce que, dans de telles sociétés, la figure conceptuelle féminine dans la pensée de l’homme est toujours dans les stades primitifs ; elle est un objet sexuel. C’était le fait psychique qui a conduit à la déféminisation de Jalalabad.
Au niveau émotionnel, la fermeture de la pensée exprime une crise émotionnelle. L’homme qui s’enrage est un homme qui fait face à une difficulté de compréhension et d’expression. Cela veut dire qu’il n’est pas encore capable de confronter les situations réelles, et qu’il est toujours coincé dans son infantilisme. Nous entendons par « difficulté de compréhension » un état résultant d’une quête d’affection échouée. C’est bien le cas des dieux antiques, trop enflés pour pouvoir aller dans un seau.
Pour résumer, l’énergie qui pousse l’homme à la quête, au travail, à se lever le matin et sortir à la rencontre du monde, est la libido. Cette énergie naturelle qui se sublime pour créer une action sociale, politique, économique, intellectuelle ou physique ne peut qu’être dirigée, dans le cas de l’homme, vers un concept féminin, c’est-à-dire vers tout ce qui peut le « contenir ». Les idéologies en font partie, les bonnes et les mauvaises. Mais au fur et à mesure que son intérêt tourne vers une idéologie quelconque, l’homme perd de plus en plus la faculté de communication. En termes symboliques, son Logos se trouvera coincé dans les sphères théoriques ou historiques, et dans les toiles sombres des idées dogmatiques, en perdant ainsi toute malléabilité, tout discours dialectique et critique et toute compréhension mutuelle de l’autre et de lui-même. C’est une fixation dans le passé psychique, autant individuel que collectif. C’est là où le prince charmant se transforme en loup-garou pendant la nuit, sous la pleine lune.
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- The Great War for Civilization, Robert Fisk.
- Métamorphose de l’âme et ses Symboles, CG Jung.
- « Le soi-disant complexe d’Oedipe avec sa tendance incestueuse se métamorphose à ce stade en complexe Jonas-Baleine, avec ses nombreuses variantes, comme par exemple la sorcière qui dévore les petits enfants, le loup, le dragon, l’ogre, etc. L’angoisse de l’inceste devient peur d’être dévoré par la mère. La libido en régression se désexualise, semble-t-il, parce que peu à peu elle recule vers des stades présexuels de la première enfance. » (Métamorphoses de l’âme et ses symboles, CG Jung. P.680, 681,682)