Je suis née par hasard. D’une rencontre fortuite entre un spermatozoïde pétulant et tenace et un ovule paresseux bien niché, dans une chaleur salutaire, dans son univers utérin. Fille d’un brassage chromosomique, d’un partage de bagage héréditaire porté par une femme bien rangée, de bonne famille et surtout mère de famille dévouée et prête à tout offrir et à s’offrir pour le bonheur de sa famille et de son mari… Bagage héréditaire transmis aussi d’un père, qui s’est toujours inféodé pour la cause humanitaire alors que le Liban passait de Charybde en Scylla pendant une guerre civile sanglante, poète dans son adolescence et féru de oud et de musique orientale.
Le résultat fut : une fille brune, toujours souriante même quand la vie lui assène claque après claque, rêveuse à un point tel qu’elle passe d’une chimère à l’autre sans transition aucune, en s’appropriant le rêve comme si ça relevait de la vraie vie… Mais dans la « vie en vraie », comme le dit si bien ma chère Anne Sylvestre, « le scénario se déroule sans anicroche… mais quand le mot fin s’allume on n’est pas étonné. » Ainsi, le mot « fin », « fine », « the end », « Al Nihaya » s’est allumé à maintes reprises dans ma vie dans toutes les langues possibles même en portoricain ! Toujours, abandonnée sur un rivage incertain, je refaisais mes bagages et je repartais, en vadrouille, vers de nouveaux horizons inconnus et aussi brumeux que le passé orageux que je viens de laisser languissant derrière mon dos.
Ainsi, jusqu’alors, ma vie n’a jamais été une vie… Ce n’était que des fins qui s’égrenaient et des jours que je percevais comme des chapitres parfois écrits avec un style médiocre comme celui de Marc Lévy, pessimiste comme celui de Houellebecq, onirique comme la plume grandiose de Baudelaire, hérétique comme les envolées noires de Lautréamont… Ma vie : ce n’était qu’un combat. Tout d’abord timide et où les sons des canons étaient étouffés par la sécurité du foyer familial… Ensuite, acharnée. Moi… il fallait que je joue des coudes pour poursuivre mes passions, aussi lutines que quand j’ai été petite et que je courais après les papillons dans les champs de la Béqaa avec une insouciance, presque naïve.
L’insouciance… je suis tellement insouciante que j’en deviens angoissée. Insouciante quand il s’agit de religion. Les homélies ne me font plus tressaillir… Je n’en ai que faire. Dieu, je ne le trouve nulle part… du moins, pas dans les églises ni dans les mosquées. Insouciante quand la pression du travail augmente au point de m’étouffer dans son étreinte fatale… Insouciante, parce que toujours, mon regard biais scrute cet au-delà où mes idoles me saluent et me consolent en m’invitant à un petit thé comme dans le pays des merveilles d’Alice : le chapelier est souriant, le lapin toujours à la bourre… Cet au-delà chimérique où les paradoxes font fi des normes, où la sensualité et l’insoutenable légèreté de l’être côtoient l’esprit et sa rigueur obsessionnelle, où les idées licencieuses vivent en symbiose avec la philosophie dans un lacis complexe comme le revers d’une broderie où les fils s’emmêlent anarchiquement…
Moi… Je suis tout et rien. Mais surtout et avant tout je suis femme et féminine.
Femme quand j’aime à m’en briser le cœur… rapiécé, recousu, rafistolé à maintes reprises.
Quand je pleure toujours à la même scène de « Cinema Paradiso » quand Totò revient assister à la démolition de son havre d’enfance où sa passion est née. Son havre est aussi le mien, par procuration…
Quand les yeux exorbités, je me cloue devant une vitrine d’une joaillerie turque admirant les pierres précieuses et essayant d’imaginer leur Odyssée avant qu’elles ne débarquent dans ce taudis bordélique de bijoux.
Femme quand je me lance dans une mer houleuse tout en sachant que mes bras fluets ne pourront jamais apprivoiser les vagues écumeuses.
Moi, féminine… Je suis aussi féministe.
Féministe contre la violence domestique et les mentalités vermoulues de quelques hommes et femmes de la pire des engeances,
Féministe avec la représentation de la femme au sein des institutions étatiques,
Féministe, main dans la main avec les hommes pour transformer Beyrouth et le Liban, en un creuset rayonnant pour les cultures,
Féministe avec la libération du corps du joug des tabous…
Ton corps et à toi, femme libanaise, tatoue-le, écoute ses soupirs et ses revendications… N’hésite pas à l’offrir à ce bar tender ensorceleur qui te charme alors que tu essaies de noyer ta tristesse dans ton martini sec… Laisse-le vibrer de plaisir à défaut de sentiments.
Sois ! Toi, ta féminité et ton féminisme une Trinité imperturbable… Et les portes de l’Enfer ne prévaudront pas contre elle !