Et si c'était moi Roula Yaacoub…

Ornella Gebrane

Et si c’était moi Roula Yaacoub?
Et si c’était toi? Ta fille? Ta mère? Ta soeur? Ta cousine? Ta tante?… Battues à mort…

Roula Yaacoub était une femme dite ‘ordinaire’, qui vivait dans une maison ‘anodine’ et qui menait une vie simple qu’elle sacrifiait pour le bien-être des ses cinq filles. Evidemment, Roula n’était pas héritière d’une énorme fortune, ni la PDG d’une importante compagnie; sa mort ne changerait donc pas grand chose au cours des évènements du Liban. S’intéresser alors aux causes de celle-ci et punir les coupables serait probablement une ‘perte de temps’ selon certains “illuminés” dans ce pays.

Un soir de juillet, des cris et des pleurs provenant de la maison de la jeune femme furent entendus dans son entourage.  Un voisin se précipita et remarqua les bleus sur la peau d’une des cinq filles et un manche à balai brisé sur le sol. Après avoir demandé à l’enfant de lui expliquer ce qui s’est passé, elle lui répondit: “Papa s’est tellement énervé  qu’il a commencé à battre maman.” Roula fut transportée d’urgence à l’hôpital et sa mort ne tarda pas à être déclarée. L’autopsie révéla l’existence de cicatrices dues à un matériau rigide et tranchant tout le long du corps, ainsi qu’une hémorragie cérébrale suite à une forte attaque, un choc brutal.

Récemment, un jugement des plus honteux fut déclaré: ‘L’époux de Roula Yaacoub est innocent. Celle-ci a tout simplement trébuché!’

Le corps judiciaire – une partie de celui-ci pour ne pas généraliser – prendrait-il le peuple libanais – une partie également -, incluant la famille de Roula et ses proches pour des dupes? Des enfants de choeur? Personnellement, je ne pense qu’à deux causes à la base de ce verdict: le piston (al-wasta) et le système patriarcal. Ce verdict, et tant d’autres, rend notre système judiciaire des plus injustes – une injustice déguisée, sous des apparences des plus trompeuses…

Adopter une loi sur papier contre la violence domestique serait certes une solution, mais elle n’aurait aucune importance si elle n’est pas appliquée et mise au service de la protection des femmes sur le terrain. Elle n’aurait aucune importance si tout le système patriarcal lequel marque les mentalités, n’est pas déconstruit.

Je pose donc ici  quelques questions aux ministres, députés, juges, avocats, et à toute personne vivant dans ce pays: “Et si c’était votre fille, votre mère, votre soeur, …?” Si c’était votre proche, l’être que vous aimez, battue à mort, ne recevant même pas le repos mérité suite à son décès? Seriez-vous si lâches, si impuissants? Trouveriez-vous toujours des excuses pour justifier, des alibis pour détourner la situation? Diriez-vous toujours “ya haram” tout en continuant vos vies comme si de rien n’était, en ignorant qu’une femme (et bien  d’autres) est décédée à cause de limites inhérentes aux systèmes politique et judiciaire, et une mentalité qui laisse la plupart des bourreaux impunis? 

Certaines sources affirment que l’affaire ne s’arrête pas là. Espérons cette fois que la véritable justice puisse triompher et que le dossier ne soit pas placé parmi les ‘cas oubliés’.

S’indigner ne suffit plus. Mépriser ne suffit plus. Il faut agir. La vérité n’est pas une opinion, elle ne varie ni selon les circonstances, ni les pistons, ni les intérêts personnels; elle est toujours vraie, qu’on choisisse de la voir, de la croire ou pas. Nous ne pouvons nous taire face à cette injustice et à tant d’autres dans notre pays. Nous ne pouvons ne pas nous révolter!

Hier Roula, Rima, Leila, …

Demain vous, et moi…

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