La sexualité sacrée: tabou 'repensable'

Dr. Pamela Chrabieh
Dr. Pamela Chrabieh
2013, Lebanon

Quelle ne fut leur surprise en découvrant que le monde hindou regorge d’un mélange de plaisirs sexuels et de croyances religieuses, de servantes des dieux (les devasdasi) appartenant à un époux divin qu’elles étaient tenues de divertir et, pour que la jouissance soit parfaite, de combler charnellement – mais leur divin marie étant par nature absent, c’était à ses invités qu’elles devaient offrir un avant-goût des plaisirs qui les attendaient dans l’au-delà, après la mort.

Quelle ne fut leur surprise lorsque je leur présentai des images de la Mésopotamie où la sexualité était tout à fait naturelle, où les babyloniens lui portaient un regard décomplexé. Dans la célèbre Epopée de Gilgamesh, n’est-ce pas une prostituée nommée Lajoyeuse qui va civiliser l’un des protagonistes, le faisant passer de l’état de bête à celui d’homme par son art de l’amour ? La mythologie des Sumériens, qui furent parmi les premiers habitants de la Mésopotamie, relate notamment que le dieu Enlil, l’une des divinités suprêmes du panthéon, poursuivit de ses assiduités la jeune déesse Ninlil, la viola et la mit enceinte. Puni par l’assemblée des dieux, Enlil ne se priva pas de recommencer.

Et que penser des amours de la déesse Inanna, plus tard Ishtar, puis rattachée à Aphrodite ? Divinité féminine la plus importante en Mésopotamie, elle règne sur l’amour physique, charnel et passionnel. Déesse torride, insatiable dans ses ébats, harcelant sexuellement mortels et immortels, demandant à l’homme de son coeur de “labourer sa vulve”…

Que ne fut leur surprise lorsque mes étudiants-es eurent vent de certaines prières adressées à Ishtar par ses fervents adorateurs afin de parvenir à leurs fins, montrant qu’à cette époque, plaisir sexuel et sentiment religieux n’avaient rien de contradictoire.

L’hiérogamie ou le mariage sacré, fut d’ailleurs un rite religieux important aux IIIe et IIe millénaires avant notre ère. Censé mimer les amours d’Ishtar et de Dumuzi ou Tammuz, il avait lieu lors de la fête du Nouvel An, s’incarnant en une rencontre charnelle entre le roi et la prêtresse de la déesse ou une hiérodule ; rencontre censée apporter fertilité au peuple et au pays. Gage de récoltes abondantes et approbation du pouvoir du roi par les dieux.

La sexualité sacrée fut interdite par la suite (dans certains cas, progressivement), notamment par les trois monothéismes (Judaïsme, Christianisme et Islam). Elle devint même ‘tabou’. Certes, selon Patrick Banon: “les tabous n’ont pour objectif que de tisser un lien entre les hommes, et une frontière entre humains et animaux. […Ils] font partie de l’idée même d’humanité. Ne les regardons pas comme des rites venus d’un autre âge, mais bien comme des aide-mémoire destinés à nous rappeler que nous sommes, avant tout, des êtres humains embarqués sur la même arche de Noé”. Toutefois, lorsqu’un interdit/tabou encourage l’inégalité entre les hommes et les femmes, ou la supériorité d’un peuple sur un autre, ou croit pouvoir décider qui peut vivre ou doit mourir, ou perpétue l’injustice et la violence, alors cet interdit/tabou est “factice”!

Aujourd’hui, au Liban et dans la plupart des pays du sud-ouest asiatique (Moyen-Orient), les interdits/tabous concernant la sexualité des femmes, et la sexualité en relation au sacré notamment, sont beaucoup plus nombreux que les espaces de liberté et de pensée critique. Parler ouvertement de sexualité relève de l’impensable… Ouvrir le débat sur le sexe et les religions en relisant le passé pour mieux comprendre le présent est un chemin parsemé d’embûches… Chose que je fais ici évidemment, ainsi que d’autres femmes, chacune à sa manière, luttant sous  la chape de plomb, et au-delà…

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