Au Liban, «le meilleur pays au monde», le viol reste un acte «banal» !

Joelle SfeirEn novembre j’ai reçu pour mon anniversaire (célébré à Montréal où j’habite) un super cadeau de la part de mes ami(e)s et de ma famille : un voyage de presque 40 jours en Inde…

Arrivée au Liban, et à l’annonce de ce voyage et des préparatifs qui en découlent, un commentaire commun est resté « bien accroché » comme on dit. Hormis les « yi ! C’est sale ! » (Je vous rassure, à peine plus que bien des coins au Liban) et les « faites attention » dans le vague, ce qui revenait le plus souvent dans les mises en garde des gens était : « Attention ! Il y a beaucoup de viols là-bas. »

Bon, d’accord, la remarque n’était pas infondée suite aux répercussions du cas de viol collectif qui a eu lieu à Delhi en 2012 et qui perdure jusqu’à aujourd’hui.

Il n’en reste pas moins que ce commentaire, répété ou non, m’a dérangé pour plus d’une raison :
D’abord à cause de l’aspect raciste/complexe de supériorité intériorisé dont il fait – à mon avis – preuve. On dirait à travers ce commentaire que le viol n’existe que chez ces « sauvages d’indiens. »
Mais la principale raison pour laquelle j’ai réagi à chaque fois qu’on me faisait la remarque est que l’on ignore trop souvent les cas de viols bien de chez nous.

Qui se souvient de Myriam Achkar ? Qui se souvient des versions toutes plus ridicules les unes que les autres qui ont cherché à se focaliser sur des aspects mineurs de l’affaire – du style : elle était vierge, elle allait prier, etc… Mais qui s’en fout de ce qu’elle allait faire ?! Si elle n’était pas vierge ou qu’elle n’allait pas prier, le viol aurait était « moins pire » ? Est-il pire de violer une vierge qu’une fille pas vierge ? Quelle est donc étrange cette sacralité de la virginité et de la femme « pure » versus la démonisation de la femme « libérée » au sens péjoratif qui est octroyé à ce terme dans notre société ?

De plus, qui parle de toutes ces femmes violées dans le cadre du mariage ? Un viol on ne peut plus légal ? De celles violées par un parent proche et qui doivent garder le silence sous peine de punition ? Qu’en est-il de ces femmes abusées par leur maris et à qui leur propre famille tourne le dos, parce que une femme « comme il faut » reste chez elle ? Des filles et des femmes harcelées au travail, à la maison, par des voisins et qui ne disent rien parce que le harcèlement « ce n’est pas le viol quand même ! » ou pour ne pas se faire dire qu’elles « n’ont pas le sens de l’humour » ou qu’elles « sont coincées » ou encore plus simplement parce qu’elles n’ont aucun recours légal et parce que bien souvent les gendarmes ne savent juste pas quoi faire (si ce n’est en rajouter).

Lorsque j’ai fait part de mes réflexions à des ami(e)s, la question s’est posée de savoir si parler et montrer du doigt le viol est un mal ou un bien. En effet, en Inde, en feuilletant les journaux, j’ai remarqué que les cas de viol, lorsque dénoncés, étaient relatés dans les 3 premières pages et qu’il y a un travail de mise en lumière des abus contre les femmes. Mais certains se demandent si trop en parler ne crée par une situation un peu perverse où des gens qui ne penseraient pas au viol seraient tentés en lisant le journal… un peu comme un criminel aurait l’idée du scénario d’un crime suite à la lecture d’un livre. A qui la faute dans ce cas, l’auteur ou le criminel ?

Je ne peux répondre à la question. Ce que je peux affirmer par contre, c’est que le risque de viol existe PARTOUT. Sortir de chez soi, implique, tacitement, pour une femme, la connaissance du risque de se faire violer.

Je suis tentée de dire que le risque est peut-être moindre dans certaines villes… Mais dans ce cas, pourquoi existe-t-il des mesures préventives dans certains pays qui ont bien conscience du risque, comme à Montréal, où le bus s’arrête entre 2 arrêts, après 9 heures du soir, pour les femmes seules ? Pourquoi en Jordanie, les femmes conduisant seules la nuit sont moins susceptibles de se faire arrêter par la police malgré un excès de vitesse ? (et je ne parle que de ce que j’ai expérimenté).

« Attention, il y a beaucoup de viols en Inde. »

Oui, c’est vrai. Il y a tellement de monde là-bas !

Mais pourquoi donc oublie-t-on la poutre dans notre œil ?! Il suffit pourtant de jeter un coup d’œil aux faits divers dans la presse écrite pour voir qu’il y a quelques lignes consacrées aux crimes d’honneur.

Quelques lignes… mais une première page sur la rencontre d’un tel avec un tel parce que chez nous, c’est bien ce qui prime… Alors qu’en Inde, eux, ils n’ont pas honte de parler de ces violences… Car en parler beaucoup, malgré le sensationnalisme qui vient nécessairement avec, permet de criminaliser le viol ; comme c’est le cas en Inde, un pays que beaucoup de Libanais considèrent « arriéré ». Mais au Liban, « le meilleur pays au monde », le viol reste un acte « banal » et nous sommes loin de le criminaliser. Il faut déjà admettre qu’il existe… Ce n’est pas gagné.

5 lignes, et une sentence dérisoire à celui qui a «lavé l’honneur de la famille. » Ouf ! Je respire mieux de savoir que l’honneur de bien des Mâles dans notre société dépend du sexe de leurs femmes… Comme cette photo qui circule maintenant sur Facebook et qui montre des femmes portant une pancarte sur laquelle il est écrit en arabe : si l’honneur de l’homme est lié à mon hymen, alors il est certain de se faire humilier… Et je respire encore mieux de savoir qu’au Liban, que ce soit à Achrafieh ou à Baalbeck, au Nord comme au Sud (n’en déplaise certains), lorsqu’un homme me suit, me siffle, me propose de monter avec lui en voiture, c’est juste « pour rire », parce que je n’ai pas l’air coincée… Je suis heureuse de savoir que l’honneur d’une femme n’est vraiment pas le même que celui des hommes et qu’il ne se mesure qu’au nombre de ses enfants…

Elle est où la législation qui protège la femme ? Elles sont où les instances religieuses pour qui « l’homme est à la tête de la femme ? » Oublions la législation, il est où l’honneur de certains lorsqu’il s’agit de laver l’honneur de leur femme, de leur fille ? Pourquoi cette volonté de taire l’abus coûte que coûte ? Pourquoi ce « 3eyb » (honte) a-t-il cette importance là où justement, il est « 3eyb » (honte)?

Non, vraiment, si vous allez en Inde, faites attention, il y a beaucoup de viols là-bas…

Tout va très bien, Mme la marquise.

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